Être en désarroi n’est pas simplement une indignation, un choc ou un chagrin. C’est ne pas pouvoir concevoir de réponse face à l’inadmissible ou au malheur. S’inspirant de l’œuvre post-exotique, de ses nombreuses voix et du chant choral des prisonniers et des prisonnières qui se situent en son centre, nous essayons ici d’explorer le désarroi existentiel, le désarroi fondamental sur quoi s’est construit l’édifice poétique dont se réclament Manuela Draeger, Lutz Bassmann, Elli Kronauer et Antoine Volodine. La fin des espoirs révolutionnaires qui brillaient jusque dans les années 70 du XXè siècle, puis la disparition de l’URSS, ont créé chez les écrivains, poètes, chamanes et illuminés post-exotiques un vide qui auraient pu les contraindre à se taire, un vide mortel. C’est par la parole littéraire et le rêve qu’ils ont réussi à contourner ce vide, trouvant non des réponses à l’impensé, à l’inconcevable, mais une tactique de survie intellectuelle, entre mort et folie.
Antoine VOLODINE construit depuis plus de trente ans une œuvre « collective » qui échappe à toute classification. Il nomme ce projet « post-exotisme » et explique qu’il s’agit de construire un vaste édifice romanesque, témoin d’une littérature carcérale écrite à plusieurs voix, « venant de l’ailleurs et allant vers l’ailleurs ». Au cœur de cet édifice se place une prison imaginaire dans laquelle d’anciens guerriers de la révolution, hommes et femmes, échangent des souvenirs de défaite, des récits de rêve, des fragments d’opéra, d’épopées, des images qui sont la matière des romans qui paraissent à l’extérieur des murs. Plusieurs auteurs post-exotiques se font connaître dans le réel du monde éditorial : Antoine Volodine, leur porte-parole, mais aussi Elli Kronauer, Manuela Draeger, Lutz Bassmann. Chacun avec son univers poétique personnel et ses éditeurs attitrés participe à la mise en scène d’un ensemble où interviennent des écrivains marginaux, des victimes de génocides, des chamanes, des malades mentaux et des animaux dotés de parole. Derrière la violence et le fantastique des situations, les narrateurs toujours s’interrogent sur les désastres historiques contemporains, sur les échecs de l’humanisme, les personnages cherchent l’apaisement, l’illumination amoureuse et la fin de leur cauchemar.
Parmi les plus de quarante ouvrages qui ont balisé le chemin littéraire du post-exotisme, citons ici Des anges mineurs (prix du Livre Inter 2000), Terminus radieux (prix Medicis 2014), mais aussi Frères sorcières (Volodine, 2019), Onze rêves de suie (Manuela Draeger, 2010), Les aigles puent (Lutz Bassmann, 2010).