Le ressentiment est de plus en plus souvent invoqué comme l’une des causes majeures de la crise démocratique. Si nos régimes politiques vont mal, ce serait la faute de ce sentiment, considéré comme la pulsion principale des classes populaires. Qu’elles votent, s’abstiennent, manifestent, refusent ou protestent, le discours du ressentiment les accuse invariablement d’être aveuglés par l’envie et le complotisme. En proposant une histoire philosophique du mot lui-même, que Nietzsche reprend à l’écrivain français Paul Bourget, je me propose de montrer que le ressentiment est moins une pulsion populaire qu’une structure centrale de notre grammaire et de notre métaphysique. En accusant les basses pulsions du peuple, le discours dominant, qui se plaît tant à le dénoncer, en porte en réalité la marque de bout en bout.
Barbara Stiegler est professeur de philosophie à l’Université Bordeaux Montaigne et membre de l’Institut universitaire de France. Initialement spécialisée en philosophie allemande (Nietzsche et la biologie (PUF, 2001) et Nietzsche et la critique de la chair. Dionysos, Ariane, le Christ (PUF, 2005)), ses recherches s’inscrivent aujourd’hui dans le champ de la philosophie politique et portent sur l’histoire des libéralismes et de la démocratie. Parmi ses derniers ouvrages, on retient notamment « Il faut s’adapter ». Sur un nouvel impératif politique (2019), De la démocratie en pandémie : santé, recherche, éducation (Gallimard, 2021) et Santé publique année zéro (Gallimard, 2022).